mardi 11 décembre 2012

A Carcassonne, l’inéluctable progression de la pauvreté


C’est une foule hétéroclite de SDF au long cours, de punks en vadrouille et de personnes désocialisées en attente de logement. Situé dans une petite rue excentrée, l’accueil de jour des Restos du cœur de Carcassonne grouille de visiteurs ce midi-là, comme tous les jours. Que l’endroit ne désemplisse pas depuis son ouverture, fin novembre, n’est pas une surprise. Ce qui l’est plus, c’est la présence, dans ce local théoriquement réservé aux sans-abri (à qui est offert un repas chaud), de "plus en plus de personnes vivant en appartement", explique-t-on. Ainsi Anne, 56 ans, une ancienne archéologue touchant le RSA, mais ne vivant qu’avec 150 euros une fois ses factures payées : "Quand ça devient dur, je viens ici", confie-t-elle, au milieu d’habitués dont elle s’est fait des amis.

L'accueil de jour des Restos du coeur, théoriquement réservé aux aux sans-abris, est désormais fréquenté par personnes vivant en appartement. (Photo Ulrich Lebeuf/Myop pour Le Monde)
Le lieu est emblématique de la pauvreté à Carcassonne, ville moyenne (50.000 habitants) dont nul ne soupçonnerait qu’elle soit si bien placée sur la carte de France de la paupérisation. Les élus n’en avaient guère plus conscience avant que Maryline Martinez, première adjointe au maire, ne lance une enquête il y a un an. Censée établir un "diagnostic santé" de la population, l’étude a fait apparaître des taux de chômage (20,4%), de pauvreté (19,9%) et de bénéficiaires du RSA (11,3%) nettement supérieurs à la moyenne. La municipalité (PS) a du coup décidé de décupler, ou presque, les subventions qu’elle accorde aux cinq principales associations caritatives. Jusque-là comprises entre 1000 et 2000 euros, elles s’élèveront, en 2013, entre 10.000 et 14.000 euros. "Il y a urgence. Il faut cautériser, justifie Mme Martinez. La découverte de cette détresse nous a surpris. Nous sommes dans un milieu mi-urbain mi-rural où les solidarités familiales font que les choses se voient moins."
Située entre deux agglomérations à l’essor galopant (Toulouse et Montpellier), Carcassonne paie le prix d’un développement économique ralenti notamment par l’absence de grandes entreprises. La population s’est appauvrie lentement au fil des décennies. Aux chômeurs longue durée et aux petits retraités se sont ajoutées des familles monoparentales, des routards attirés par le soleil, des demandeurs d’asile issus des pays de l’Est et, depuis peu, des Espagnols d’origine maghrébine fuyant la crise. Loin des remparts illuminés de sa célèbre cité, Carcassonne compte deux zones urbaines sensibles, cinq quartiers en contrat urbain de cohésion sociale et un lot de squats et d’habitat insalubre.

(Photo Ulrich Lebeuf/Myop pour Le Monde)
A entendre les associations, la "situation" se serait accentuée à la rentrée. Les Restos du cœur s’attendent à accueillir entre "10% et 30%" de public supplémentaire cet hiver. Au Secours populaire, c’est une chute importante du "reste à vivre" (une fois que le loyer et le coût de l’énergie ont été retirés des revenus) qui est observée:  "Nous inscrivons des personnes à qui il ne reste que 3 euros par jour pour manger, voire zéro euro parfois", indique-t-on. Chez Emmaüs, les effectifs se garnissent "de gens qui travaillent, mais n’arrivent pas à joindre les deux bouts".
Visible depuis deux ans, un indicateur en dit long : les associations sont persuadées de l’existence d’un "marché parallèle" de produits alimentaires distribués par leurs soins. Peu friands des marchandises de base de l’Union européenne (huile, sucre, farine, surgelés…), les bénéficiaires les troqueraient entre eux, quand certains ne les vendent pas lors de vide-greniers.

Réfugié politique de nationalité arménienne, Mher Missakyan, 49 ans, est arrivé en France en 2006. Chauffeur-routier, ce père de trois enfants a pour seul revenu le RSA. Habitué du Secours populaire, il y est également bénévole. (Photo Ulrich Lebeuf/Myop pour Le Monde)
Conformément aux statistiques nationales, les jeunes en difficulté sont aussi plus nombreux. Et… de plus en plus jeunes. A la mission locale, les mineurs représentent 23% des 4.000 inscrits, contre à peine 10% il y a huit ans. Les trois quarts des jeunes fréquentant l’établissement vivent chez leurs parents et seule une minorité a le permis. Une forme de repli sur soi semble s’être propagée, selon un sondage maison indiquant que 95% ne sont pas prêts à quitter la ville pour trouver du travail.

James Castellan, 21 ans, sans emploi, vit chez sa mère, bénéficiaire du RSA. (Photo Ulrich Lebeuf/Myop pour Le Monde)
"Tout dépend de quel travail il s’agit, nuance James Castellan, 21 ans, titulaire d’un BEP système électroniques numériques. Si l’on me propose un CDI à Paris, j’y vais en courant. Mais pour un CDD, je risque d’y laisser mon salaire. Même un apprentissage est devenu impossible à trouver. Plus aucun patron ne veut vous prendre si vous avez dépassé 20 ans, car vous coûtez plus cher que quelqu’un de 16 ans." James habite chez sa mère, bénéficiaire du RSA, et vivote avec les quelques dizaines d’euros que lui attribue la mission locale.
A l’autre extrémité de la pyramide des âges, le constat n’est pas plus réjouissant. Si les retraités pauvres ont toujours eu du mal à braver ce sentiment de "dignité bafouée" que provoque l’octroi d’une aide alimentaire, certains n’hésitent plus à franchir le pas des associations. "Notamment des personnes de plus de 80 ans qu’on ne voyait jamais avant", remarque-t-on au Secours populaire. A se demander si les collectivités arrivent encore à faire face, se demande Jean-Marie Jordy, le président de l’antenne des Petits Frères des pauvres : "On a l’impression que les services sociaux se tournent de plus en plus vers nous. La vocation de notre association est pourtant de visiter et d’écouter des personnes âgées isolées, pas de faire du social. Nous sommes du coup obligés d’en faire, en payant ponctuellement des factures d’eau et d’électricité."

Les bénévoles des Petits frères des pauvres font de plus en plus de "social" alors que la vocation de leur association est de visiter et d'écouter des personnes âgées. (Photo Ulrich Lebeuf/Myop pour Le Monde)
La situation s’est vraiment compliquée pour les sans-abri et les plus vulnérables. Sortir de la galère est devenu "encore" plus difficile. Dès qu’un lit se libère dans un foyer, il est attribué dans les jours qui suivent, "alors qu’on avait régulièrement des places vacantes jusque-là", souligne Bernard Botet, le directeur d’Aude Urgence Accueil, l’association ayant la gestion du 115 et faisant office de Centre d’hébergement et de réinsertion sociale.
Mais squats et trottoirs ne désemplissent pas non plus. On y voit échouer de nouveaux profils, en particulier des jeunes femmes et des familles. Un chiffre de l’enquête-santé réalisée par la municipalité a stupéfait les élus : en 2012, neuf enfants sont nés de couples vivant dans la rue à Carcassonne.
 Source: http://crise.blog.lemonde.fr/2012/12/11/a-carcassonne-lineluctable-progression-de-la-pauvrete/

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